L’histoire
Nuit du 26 au 27 Mai 1996, sept moines trappistes Français sont enlevés dans leur monastère de Tibhirines (Algérie) vers 3h du matin. La guerre civile algérienne bat son plein, les tensions sont partout et notamment là où des groupes extrémistes sèment la terreur sur les populations et massacrent des étrangers. Ce film nous conte leur histoire, de 1993 à 1996, période pendant laquelle le questionnement sur le choix de partir (pour se mettre à l’abri) ou de rester (au péril de leur vie) fut leur quotidien. Une histoire qui place au centre la condition mortelle des hommes et la peur qui en découle et interroge de façon radicale la liberté et le choix.
Quelques clés pour penser le succès du film :
- Le monde monastique dans lequel nous plonge le film est intrigant, mystérieux et à mille lieux de nos modes de vie post modernes contemporains
- L’histoire de ces moines de Tibhirines entre en résonance avec l’Histoire (Guerre d’Algérie – Lutte du gouvernement Algérien contre le GIA – relation entre Islam et Christianisme)
- Les émotions suscitées à une époque très rapprochée – Mai 1996 – pour tout un peuple ressurgissent et se mêlent à celles ressentis pendant le film
- Le besoin grandissant de spirituel dans nos sociétés rationalistes trouve un écho pendant 120 minute
- L’exemple de ces hommes qui trouvent leur force dans une communauté soudée autant que dans leur intériorité
- Les doutes de ces humains qui malgré leur sagesse, s’interrogent, s’emportent, remettent en question leurs choix, cherchent à être entourés, tremblent pour leur vie…
- L’influence sur les spectateurs du grand prix du jury à Cannes
Bien sur, chacun mettra en perspective ces pistes de réflexions et en ajoutera d’autres. Afin de faire saillir la place de ce grand prix du jury 2010, revenons un court instant sur le box office de 2010 afin de le confronter aux thématiques des autres succès de ce millésime.
Box office 2010 (à la date du 24 octobre 2010)
- Inception : 4 879 431 entrées
- Shrek 3D : 4 576 746 entrées
- Alice aux pays des merveilles : 4 527 076 entrées
- Toy story 3 : 4 124 731 entrées
- Camping : 3 969 963e entrées
- Twilight : 3 930 577 entrées
- La princesse et la grenouille : 3 839 455 entrées
- L’arnacoeur : 3 736 455 entrées
- Invictus : 3 110 394 entrées
- Shutter island : 3 107 002 entrées
- Océans : 2 858 413 entrées
- La rafle : 2 858 413 entrées
- Iron man 2 : 2 574 785 entrées
- Des hommes et des dieux : 2 388 299 entrées
- Robins des bois : 2 337 160 entrées
Des moines trappistes
Avant tout, “trappiste” est un terme familier pour qualifier un ordre cistercien, celui de la stricte observance. C’est un ordre monastique catholique, qui forme avec l’ordre cistercien et les moniales Bernardines la Famille cistercienne. Il découle d’une séparation juridique avec l’ordre de Cîteaux, et fut fondé en 1892.
Leur spiritualité tire ses sources de la Bible, des règles de Saint Benoît ainsi que des écrits des pères du monachisme (Jean Cassien, Basile de Césarée, Saint Bernard et Guillaume de Saint-Thierry pour n’en citer que quelques uns…). Son objectif premier est la recherche de Dieu et ses caractéristiques principales sont une certaine simplicité ainsi que la recherche d’un équilibre entre les formes traditionnelles de la prière monastique : liturgie des heures (prière commune, 7 fois par jour à partir de la Bible et en particulier des Psaumes. C’est cette fameuse prière collective que l’ont retrouve de manière ponctuelle dans le film de Beauvois), lectio divina (lecture priée de la bible ou d’auteurs spirituels) et oraison (prière personnelle silencieuse). Ces modalités sont omniprésente dans le film et connaitre leur origine et leur signification permet de prendre la mesure de leur importance. Les cisterciens trappistes valorisent le travail manuel, considéré comme hautement favorable à la prière (caractéristique que l’on retrouve également dans les différentes scènes) ainsi que le silence (sans s’interdire la communication) et le retrait du monde (monastère situé en des lieux écartés).
Le GIA ou groupe islamique armé
Groupe armé dont le but est de renverser le gouvernement Algérien afin d’instaurer un état islamique, le GIA est sur la liste des organisations terroristes de bien des pays tels que Etats-unis, Canada, Royaume-Uni, France et bien d’autres encore. Considérée comme proche d’al-Quaida et à ce titre sanctionnée par le conseil de sécurité des nations unies, le GIA se lance en 1992 dans la lutte armée. C’est à la suite des élections législatives de 1992, dont la victoire au 1er tour fut annulé par le gouvernement, que le GIA commence à sévir. Les activités ne sont pas glorieuses : violences faites aux populations, attentats (On se souvient tous des attentats du RER B à la station saint michel en 1995, opération organisée par le GIA), executions etc. La devise l’est encore moins : “Pas de dialogue, pas de réconciliation, pas de trêve“. Le GIA est divisé en deux clans : les salafistes qui militent pour une révolution islamique mondiale et les djazaristes qui cherchent à prendre le pouvoir en Algérie. Aujourd’hui l’organisation est pratiquement éradiquée à la suite notamment d’amnisties générales du président Abdelaziz Bouteflika dans les années 2000 qui permis à plusieurs milliers de combattant de retrouver une vie normale.
Au final, une histoire forte avec quelques bémols
Acteurs inégaux, certainement. Quelques carences concernant la vie des moines, sans aucun doute (comme par exemple le très peu de scènes montrant l’implication des moines dans la vie locale ainsi que leur intégration – mis à par pour Michael Lonsdale). Quelques lenteurs et longueurs, assurément (les nombreuses scènes de prière peuvent déranger certains mais participent finalement pleinement de l’ambiance d’introspection du film). Mais une histoire tellement forte et quelques scènes véritablement intenses (l’intrusion des soldats la nuit de noël – le dialogue en toute simplicité de Michael Lonsdale avec une fille du village à propos de l’amour (improvisé par Lonsdale) – la scène du repas sur le lac des cygne de Tchaïkovsky – les discussions autour de la fameuse table au sujet de l’avenir de la communauté etc.)
Ce qui ressort de ce film, c’est le silence extrêmement pesant de la dernière scène. La mort s’est insinuée, les silhouettes disparaissent peu à peu dans un brouillard blanchâtre mais les moines n’ont pas perdu leur liberté, allant au bout de leur démarche. Toute la question du film est ce fameux face à face avec la mort, qui pendant plus de 3 ans à véritablement hanté ces hommes d’église, prouvant d’ailleurs toute leur humanité. Pour les 3 monothéismes, la mort n’est pas la fin, elle est un commencement. Comme le disait Bossuet, la mort
offusque tout de son ombre.
Mais lorsqu’il s’agit de l’affronter, de la regarder en face comme le font ces moines de Tibhirines, la peur de mourir ressurgit avec force. C’est une leçon de courage que de continuer à agir en homme libre et de faire ce que l’on croît être le bien sans considérer la menace du trépas au moment de poser son choix. La question du choix est centrale, elle aussi, dans cette histoire que l’ont peut aisément imaginer se changer peu à peu en légende, tant son enseignement et les valeurs qu’elle met en scène sont fécondes.
Quelques liens multimédias :
pour aller plus loin, un décryptage du succès du film par Frédéric Lenoir, Directeur du Monde des religions :
Très belle analyse extrêmement documentée sur un film qui ne peut laisser insensible: d’abord parce qu’il raconte une histoire vécue, ensuite parce qu’on sent les acteurs totalement impliqués dans leurs rôles et enfin parce que les dialogues et la mise en scène épurés, véhiculent un sentiment de paix et de sérénité qui fait vraiment du bien. Malgré certaines faiblesses évoquées dans l’article et que je ne conteste pas, je retiens surtout la magnifique leçon de tolérance, d’humilité, d’abnégation, de foi et d’amour.Quelques scènes sont effectivement bouleversantes et on sort du cinéma en se disant que si la spiritualité peut revêtir bien des formes, peu importe, l’essentiel est de ne jamais en manquer.
Succès populaire et critique, donné grand favori de la 36e cérémonie des César, le film de Xavier Beauvois “Des Hommes et des Dieux” a effectivement été consacré vendredi soir lors de la cérémonie des César.
3 césar : le César du meilleur film, celui de la meilleure photo décerné à Caroline Champetier et celui du meilleur second rôle, attribué à Michael Lonsdale, alias Frère Luc.
Un discours à l’image du film. Xavier Beauvois a profité de l’occasion pour lancer un appel à la “fraternité” envers les “Français musulmans”.
Recevant le prix décerné à “Des Hommes et des Dieux”, le réalisateur a expliqué que cette œuvre visait à délivrer “la parole d’intelligence” des moines martyrs, “une parole qui dit qu’il ne faut pas avoir peur des autres”, qu’il faut juste se parler”.
“C’est un message d’égalité, de liberté, de fraternité” a-t-il déclaré reprenant la devise de la république avant de dénoncer des “choses immondes” qu’il a pu entendre en France ces derniers temps, “des choses sournoises comme Zemmour ou des choses intolérables comme Hortefeux“.
“Le cinéma français est comme la France, il est riche, il est divers, je n’ai pas envie que pendant la campagne électorale qui arrive, on dise du mal des Français musulmans. J’ai envie qu’on soit avec eux, c’est la leçon de ce film” a poursuivi Xavier Beauvois.